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Echanges entre Michelle Perrot et Wassyla Tamzali toutes deux différemment engagées dans le mouvement de libération des femmes.

Où il est question de la vertu libératrice de l’écriture, de la lecture……. de Michèle Perrot

…… La lecture et l’écriture auxquelles les femmes ont accédé plus tardivement que les hommes et différemment selon les milieux, les régions, les confessions religieuses, le protestantisme étant nettement plus égalitaire en raison de l’importance accordée à la lecture de la Bible. Les livres leur ouvraient d’autres horizons, ceux de l’ailleurs, du voyage, de l’imaginaire, du rêve. Entre eux et les femmes, il y eut une alliance discrète – les femmes qui lisent sont réputées dangereuses – parfois secrète, qui les attirait vers les cabinets de lecture et les « rez-de-chaussée » des journaux où s’imprimaient les feuilletons. Romans et récits de voyage étaient leurs genres préférés. Le lectorat féminin a fait le succès des romans de Sand qui s’adresse à ses « chères lectrices ». Comme en Angleterre Jane Austen ou Georges Eliot. Les héroïnes de romans, souvent très conformistes, fournissaient des modèles attirants d’accomplissement, voire d’émancipation.

Ecrire était à peine plus difficile, car il y avait des motifs imposés ; la correspondance familiale, le journal intime. Les femmes étaient les scribes de la famille, auprès des ascendants, des enfants en pension ou de la parentèle. Elles entretenaient la mémoire des généalogies et la transmission des secrets. Le journal intime était recommandé comme exercice pieux ou disciplinaire, par les confesseurs ou les éducatrices.

Mais souvent il échappait à l‘ordre, et le « moi » justement, s’y donnait libre cours, par la vertu libératrice de l’écriture.

Le XIXe siècle bourgeois, si convenu, permit ainsi au « moi des demoiselles » de s’exprimer, comme l’a montré Philippe Lejeune.  J’ai naguère publié le journal d’une jeune fille du faubourg St Germain, Caroline Brame, plus que rangée, et néanmoins traversée par un désir amoureux qu’elle ose à peine avouer, mais que brise un mariage imposé dont elle raconte les apprêts. Elle cesse alors d’écrire son « cher journal », incompatible avec son nouveau statut, et ne le reprendra que dix ans plus tard, à l’occasion de la naissance d’un « baby », une petite fille très désirée.

de Wassyla Tamzali …..

. La littérature du XIXe siècle en Occident s’est souvent emparée du sujet, de cette part privée des femmes qui est le dernier rempart de leur liberté devant les mœurs familiales et de leurs exigences devant l’emprise de l’amour : la pièce d’Henrik Ibsen «Maison de poupée» (1897).

Près d’un siècle plus tard, dans « la femme gauchère » (1976) de Peter Handke, sous le calme apparent d’un bonheur familial monte lentement  le désir de liberté qui surgit et provoque le départ sans motif évident de l’héroïne.

George Sand reste un exemple de concordance entre vie sociale et intimité, encore que son épisode avec Musset puisse se rattacher à ce que l’on dit.

Pourtant il lui a fallu prendre un prénom d’homme, comme George Eliot, cela n’est pas neutre : quant à la malheureuse Emma Bovary, avant d’être Flaubert, elle est l’alter ego de nombreuses bourgeoises sacrifiées sur l’autel de la Privacy. *

Il faut absolument lire le livre de Mme d’Epinay, dans « Histoire de Madame de Montrbrillant », longtemps mon livre de chevet; D’abord parce qu’il est un des plus beaux livres de la littérature française, et une mine pour le féminisme ; il nous donne la mesure de combien le chemin de la libération est difficile et long (mille sept cents pages)  et parsemé de demi-échecs.

Ce n’est pas en lisant « Emma Bovary » que je prends la mesure de la cruauté de la société patriarcale à l’égard des femmes qui « écoutent » leur  privacy, mais c’est par ma pratique d’avocate. Pendant mon stage au parquet d’Alger, j’ai eu à traiter de nombreux dossiers de jeunes filles soupçonnées de prostitution : secrétaires, employées de bureau. Souvent, elles faisaient partie des premières filles qui avaient bénéficié de l’éducation, massivement suivie à l’indépendance, pour les filles aussi, ce qui n’est plus la même chose aujourd’hui où on  note un inquiétant abandon scolaire des filles. Elles étaient aussi les premières dans ces milieux populaires à conquérir l’espace public en pénétrant le monde du travail et à goûter à la liberté « de sortir ».

Dans ces dossiers qui arrivaient sur le bureau du procureur dont j’étais la stagiaire, je pouvais lire comment elles avaient été broyées par la société pour laquelle il n’y a que deux sortes de femmes, celles pour un seul homme et celles pour tous les hommes.

Aujourd’hui encore en Algérie, la privacy pour les femmes est davantage le lieu du rêve que de celui de l’accomplissement de soi et de sa liberté d’être. Cet accomplissement de soi peut devenir la cause d’une « déchéance », sinon d’un avenir incertain, et/ou d’une grande solitude sociale, voire d’une marginalisation.

*privacy : intimité.

Extraits du livre « la tristesse est un mur entre deux jardins » de Michelle Perrot (Historienne, professeure émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Diderot.

et de Wassyla Tamzali. (écrivaine, avocate et intellectuelle féministe algérienne).