Nous entreprenons par une série d’articles qui vont se succéder d’apporter des repères objectifs quant à la connaissance de la civilisation berbère (amazire). Nous veillerons à inscrire ces repères dans le bassin méditerranéen, espace naturel dans lequel s’inscrivent les Berbères depuis toujours et l’Afrique continent – mère de l’humanité.
Depuis une découverte exceptionnelle faite en 2017 en Afrique du Nord (au Nord du Maroc aujourd’hui), les origines d’homo-sapiens (homme moderne, dont les humains sont les descendants directs) se sont déplacées vers le nord-ouest du continent africain (- 315 000 ans). Auparavant les fossiles les plus anciens trouvés provenaient d’Afrique du Sud et de l’Est (- 200 000 ans).
Cette découverte génère de nouvelles hypothèses quant à l’apparition d’homo-sapiens et à sa conquête du continent africain et du reste du globe. Ce que nous retenons, c’est que l’Afrique du Nord, est un des foyers anciens de l’humanité. Et en conséquence, la connaissance des Berbères et de leur civilisation est une contribution utile à la compréhension de toutes les civilisations.
Les Berbères n’ont pas à se (ré)inventer un passé historique, littéraire, artistique ou linguistique. Ce sont les historiens grecs et latins de l’Antiquité eux-mêmes qui ont mis en lumière l’existence des Berbères par delà l’espace et le temps : que ce soit sous le nom de Libyens, Numides, Gétules, Maures, ou tous les autres noms de tribus : Mazices, Bavares, Baquates, etc.…, on les trouve en Afrique du Nord de l’Atlantique à l’Egypte depuis les temps les plus reculés. On observe une continuité pratiquement sans équivalent en Europe et dans le monde sur une durée aussi longue du Berbère et de sa langue.
On apprend aux Français que leurs ancêtres étaient les Gaulois qui parlaient le gaulois : rien de tel pour les Berbères, il n’y a pas d’hiatus entre l’Antiquité et le Présent, du point de vue anthropologique et linguistique. Ils ont certes assimilé les civilisations qui se sont succédées sur leur terre, mais sans que leur culture s’efface totalement.
Plusieurs chercheurs – y compris européens – ont annoncé dans les années 1970 la disparition des Berbères. Les hommes politiques de leurs pays les avaient évidemment depuis longtemps devancé, jusqu’à il y a quelques années où ils ont compris en Algérie et au Maroc en tout cas que la dimension berbère était incontournable.
Au Niger et au Mali, le touareg est reconnu depuis longtemps langue nationale à l’instar des autres langues vernaculaires, même si dans les faits, cela reste un peu théorique.
Pour le reste, en particulier la Mauritanie, la Tunisie, la Libye et l’Égypte, les Berbères n’existent que pour les touristes…
Or, les Berbères sont toujours là, présents, même si leur visibilité en Europe – et en France en particulier où ils atteignent les deux millions d’individus – reste encore déficiente. La situation commence cependant à changer sous l’impulsion d’associations berbères très dynamiques. Cette diaspora, qui est en majorité française, a été d’ailleurs une chance formidable pour les Berbères qui étaient brimés dans leurs pays.
Depuis l’Antiquité, les origines berbères ont fait l’objet de multiples hypothèses et légendes. Les préhistoriens, en s’appuyant sur les éléments à leur disposition, ont longtemps défendu la thèse capsienne, qui affirme que les Proto-méditerranéens (vers le 8e millénaire), ancêtres des Berbères actuels, seraient originaires du Proche ou Moyen-Orient et auraient remplacé les populations en place en apportant la culture néolithique. Or, des travaux récents remettent en cause cette thèse en montrant entre autres que la néolithisation en Afrique du Nord est beaucoup plus ancienne et qu’il y a toutes les chances que la thèse de l’autochtonéité des Berbères – en tout cas au moins depuis 15 000 ans av. J.C. – soit la plus vraisemblable.
Quant à l’écriture libyco-berbère, ancêtre des tifinagh conservés par les Touaregs et dont les plus anciennes inscriptions datent du 7e siècle av. J.C., on admet actuellement qu’elle est également autochtone, avec des signes puisés dans les symboles de l’art rupestre ou autres éléments locaux et une probable influence phénicienne ou punique.
On a toujours mis en avant les emprunts du berbère aux langues avec lesquelles il a été en contact : le punique, le latin, le grec, l’arabe, le français, l’espagnol, etc. On ne pouvait faire jouer au berbère qu’un rôle passif d’enregistrement. Or, on sait aujourd’hui que les influences sont réciproques. On peut d’ailleurs montrer qu’un certain nombre de termes latins par exemple que l’on retrouve en berbère sont en fait des emprunts du latin au berbère (les dictionnaires étymologiques du latin indiquent « origine inconnue » !).
L’identité berbère est complexe, étalée et multiforme dans l’espace et dans le temps. Définir l’identité en général n’est pas chose simple, et l’identité berbère n’échappe pas à la règle, d’autant plus qu’il n’y a jamais eu de grande entité indépendante (Région ou État) se définissant comme berbère.
La formation de l’identité kabyle par exemple constitue un cheminement qui a commencé à la fin du XIXe siècle. Bien avant cette période, les Kabyles ont cependant le sentiment d’être une entité ou une communauté distincte et plus ou moins indépendante des différents pouvoirs en place. Cela s’est manifesté en particulier à travers la poésie, la littérature, les écrits en kabyle de précurseurs comme Boulifa au début du XXe siècle, mais aussi par la révolte. Sans remonter à l’Antiquité, on peut citer en Kabylie les « royaumes » indépendants de Koukou et de la Kalaa des Ait Abbes (le royaume de Labbès ou Labez des auteurs anciens) qui ont émergé au 16e siècle dans une histoire dominée par les Turcs et les Espagnols, avec lesquels ils seront souvent en conflit.
Quant à l’identité berbère, c’est une construction assez récente et qui est encore à l’œuvre. Il n’y a pas si longtemps, les différents groupes berbères (Kabyles, Chleuhs, Rifains, Touaregs…) n’avaient aucune conscience historique commune, même si les contacts ont existé entre eux. Les références historiques sont différentes, les modes de vie divers, la langue elle-même, élément dominant de cette identité qui intégrerait les Berbères dans une même Histoire, n’échappe pas à la variété. La conscience identitaire berbère – surtout entre Berbères marocains et Kabyles, mais également Touaregs – s’est affirmée après le printemps berbère de Kabylie en 1980 et renforcée après la révolte et les émeutes récentes en Kabylie.
Sur la berbérité se sont plus ou moins greffées au cours des siècles sinon des millénaires des apports extérieurs : culturels, linguistiques, religieux. Le Berbère a embrassé les grandes religions : le judaïsme, le manichéisme, le christianisme et enfin l’islam. Sa langue a côtoyé entre autres le punique, le latin, le français et l’arabe.
Le fond berbère subsiste cependant fortement : d’une part, dans les rites et rituels antérieurs à l’islam et qui ont été en partie adaptés à la nouvelle religion : le culte des saints, la pratique du carnaval, la célébration de Yennayer (jour de l’an), etc., et d’autre part, dans les contes et la poésie vernaculaires.
La différence entre identité et culture relève schématiquement de celle existant entre conscient et inconscient. La religion et l’art, qui appartiennent au quotidien, à travers les rites traditionnels, ressortissent à la culture et concernent en partie des processus inconscients. Le sentiment d’appartenance à un groupe, qui est un des éléments essentiels de l’identité, est par contre nécessairement conscient. Chez les Berbères, l’identité se fonde principalement sur l’opposition linguistique, car l’élément le plus important, le plus évident et le plus distinctif est la langue. Ce trait identificatoire utilisé par les Berbères pour affirmer et maintenir une distinction culturelle n’est cependant pas isolé : l’habillement, la gastronomie, l’art, la littérature, les techniques même,…., peuvent également être évoqués. Ainsi :
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La littérature avec Apulée et ses « Métamorphoses » ; le roi Juba II, grand érudit, avec ses ouvrages aujourd’hui perdus et dont seulement quelques fragments ont pu être recueillis ; Saint Augustin avec ses « Confessions », qui a inventé le genre autobiographique, etc.
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Les techniques avec par exemple les chars sahariens à quatre chevaux : Hérodote nous dit que ce sont les Libyens qui ont appris aux Grecs à les utiliser, etc.
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Les arts avec la poterie, l’architecture, l’orfèvrerie, etc.
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La gastronomie, avec bien sûr le couscous, qui a été récemment inscrit au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco.